
La compétence territoriale des Tribunaux en matière de contrats publics octroyés par les municipalités
Bien que le Code civil du Québec, conjugué au Code de procédure civile, semble écarter toute ambiguïté à l’égard d’une telle question, la détermination du bon district judiciaire pour les demandes en justice découlant de contrats octroyés par les municipalités reste une question qui mérite une attention particulière.
Conformément à l’article 42 (1) C.p.c.,[1] la juridiction territoriale compétente en matière d’exécution d’obligations contractuelles sera celle où le contrat a été conclu. Ainsi, toute personne désirant poursuivre son cocontractant se doit de se questionner avant tout sur le lieu où le contrat qui la lie à ce dernier fut effectivement conclu. Cela nous amène ainsi à nous interroger : quel est le lieu de formation d’un contrat octroyé par une municipalité?
L’article 1387 C.c.Q.[2] prévoit que le contrat est formé au moment où l’offrant reçoit l’acceptation de son offre et au lieu où l’offrant reçoit ladite acceptation.
Certains seraient tenter de penser qu’en matière de contrats publics, le lieu de formation du contrat est le lieu où le soumissionnaire gagnant reçoit la confirmation à l’effet que sa soumission a été retenue et que le contrat lui a été octroyé.
Or, il appert que le lieu de formation du contrat, dans un tel contexte, est plutôt le lieu de l’adoption par la municipalité de la résolution octroyant le contrat. Bien que cela puisse être contraire à l’article 1387 C.c.Q., il est tout à fait logique, pour les motifs ci-après exposés, que tel soit le cas.
La Cour supérieure dans la décision Unigertec inc. c. Ville de Saint-Lazare[3] fut d’ailleurs appelée à traiter de la question. Dans cette affaire, Unigertec intentait dans le district judiciaire de Québec un recours pour coûts supplémentaires à l’encontre de la Ville de Saint-Lazare.
Étant en désaccord avec le lieu d’introduction de l’action d’Unigertec, la Ville de Saint-Lazare présenta une demande à la Cour afin de demander le transfert du dossier devant les Tribunaux du district de Beauharnois, soit le district dans lequel elle y exerce ses activités.
L’un des arguments de contestation notamment soulevés par Unigertec était à l’effet qu’elle aurait reçu la résolution d’octroi du contrat dans le district de Québec, soit le lieu où, selon elle et conformément à l’article 1387 C.c.Q., le contrat aurait été formé.
La Cour rejeta cet argument en raison du fait que l’ouverture des soumissions ainsi que l’adoption par le conseil de Ville de la résolution d’octroi du contrat eurent, toutes les deux, lieu dans le district de Beauharnois. Selon la Cour et avec raison, la formation du contrat eût lieu au moment de l’adoption de la résolution qui octroyait le contrat à Unigertec, et par conséquent dans le district de Beauharnois.
À l’appui de son raisonnement, la Cour souligna notamment qu’il serait incongru d’adopter l’argument proposé par Unigertec puisque cela impliquerait alors que dans tous les cas où la Ville octroierait un contrat public à une entreprise n’ayant pas son siège social dans le même district judiciaire que la Ville, cette dernière assumerait alors le risque de devoir, en cas de litige, se défendre dans un district judiciaire qui ne serait pas le sien, le tout aux frais des contribuables.
Au surplus, la Cour rajouta qu’Unigertec « pourrait [alors] prétendre à la compétence du district d’Amos ou de Gaspé pour la seule raison que le responsable de la demanderesse aurait reçu la résolution acceptant sa soumission par courriel dans l’une de ces villes. Cette conclusion paraît tout aussi aberrante. »[4]
La Cour accorda ainsi la demande de la Ville et ordonna le transfert du dossier dans le district de Beauharnois.
En amont, nous ajoutons que la position adoptée par la Cour est, par ailleurs, conforme aux enseignements de la Cour suprême du Canada quant au moment de la formation du contrat.
Rappelons qu’en matière d’appel d’offres, la Cour suprême[5] a posé le principe à l’effet que, dans un processus d’appel d’offres, il y a formation de deux contrats distincts, lesquels créent chacun des obligations qui leur sont propres.
Le premier contrat qui se forme est celui que l’on désigne plus communément dans le jargon juridique comme étant le « contrat A », lequel se forme au moment où un soumissionnaire dépose une soumission suite à un appel d’offres lancé par un donneur d’ouvrage. Ce contrat impose des obligations au donneur d’ouvrage et le soumissionnaire pour la période entre le dépôt de la soumission et l’octroi du contrat, obligations qui se caractériseront, par exemple, par l’interdiction du soumissionnaire de retirer sa soumission pendant une période de temps fixée par le donneur d’ouvrage.
Le deuxième, soit le « contrat B », se forme quant à lui lors de l’acceptation par le donneur d’ouvrage de la soumission d’un soumissionnaire, c’est-à-dire au moment de l’adoption par la municipalité d’une résolution octroyant le contrat audit soumissionnaire. Le contrat B sera plus particulièrement le contrat principal entre les parties, soit celui qui sera fondé sur les conditions et les obligations contenues aux documents d’appel d’offres. Pour fins de précisions, dans le jugement Unigertec inc. c. Ville de Saint-Lazare, il était question du lieu de formation du contrat d’entreprise soit le contrat B.
Ainsi, si le contrat B se forme au moment où le donneur d’ouvrage accepte en séance publique la soumission du plus bas soumissionnaire, il va de soi que le lieu de formation du contrat sera alors le lieu de l’acceptation de la soumission.
Considérant que seul le conseil d’une municipalité peut lier contractuellement celle-ci via l’adoption d’une résolution, le tout conformément à l’article 47 de la Loi sur les cités et villes[6], il est tout à fait cohérent que le lieu où se forme le contrat soit le district dans lequel la résolution d’octroi fut adoptée.
Une telle conclusion s’articule d’ailleurs parfaitement avec l’article 1376 C.c.Q.,[7] lequel prévoit que les règles du livre cinquième « Des obligations » s’appliquent notamment aux personnes morales de droit public sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables.
Ainsi, à moins que le contrat n’en dispose autrement, les recours judiciaires opposant des municipalités et leurs cocontractants devront être introduits dans le district judiciaire où fut adoptée publiquement la résolution d’octroi du contrat.
[1] Article 42 (1) C.p.c.
[2] Article 1387 C.c.Q.
[3] Unigertec inc. c. Ville de Saint-Lazare, 2019 QCCS 986 (CanLII).
[4] Unigertec inc. c. Ville de Saint-Lazare, 2019 QCCS 986 (CanLII), par.35.
[5] La Reine (Ont.) c. Ron Engineering, [1981] 1 R.C.S. 111; M.J.B. Enterprises Ltd. c. Construction de Défense (1951) Ltée, [1999] 1 R.C.S. 619; et Martel Building Ltd. c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 860, 2000 CSC 60.
[6] Article 47 Loi sur les cités et villes.
[7] Article 1376 C.c.Q.
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Me Anthoine Préfontaineanthoine.prefontaine@racicotchandonnet.ca
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