L’hypothèque légale de la construction et l’exception des biens affectant l’utilité publique

L’hypothèque légale prévue à l’article 2724 (2) du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») est utilisée fréquemment par les personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble afin de protéger leur créance.

Or, l’inscription d’une telle hypothèque jouit d’une exception notable, prévue à l’article 916 C.c.Q., visant à ce que les biens de l’État et des personnes morales de droit public qui sont affectés à l’utilité publique ne soient pas susceptibles d’appropriation.

À cet égard, pour identifier les mandataires de l’État, il faut d’abord consulter la loi constitutive de l’organisme en question qui peut l’indiquer clairement. Toutefois, certaines lois constitutives demeurent muettes quant à cette qualification. Il nous faut donc nous baser sur le critère retenu par la jurisprudence, soit d’analyser le degré de contrôle exercé par l’État sur cet organisme[1].

Il en va de même pour qualifier les personnes morales de droit public et il est donc utile de se référer à la loi constitutive de ces dernières, tel que le précise l’article 300 C.c.Q., afin d’apprécier si la mission de ces entités est d’intérêt public. Il va sans dire que les villes et les municipalités locales ou régionales sont notamment considérées comme des personnes morales de droit public.

Par conséquent, les biens de l’État et des personnes morales de droit public, sous réserve des exceptions prévues par la loi, sont insaisissables et l’article 2668 C.c.Q. proscrit l’inscription d’une hypothèque sur de tels biens.

Toutefois, la prémisse de cette exception est à l’effet qu’il faille s’attarder à la destination à un usage général et public et non à la simple utilisation, tel que confirmé par la Cour d’appel dans l’affaire Karkoukly and Aintabi c. Westmount (Ville de)[2]. Ainsi, c’est le bénéfice que le public retire du bien visé qui doit être pris en compte et non la simple utilisation de ce bien.

D’ailleurs, il est important de mentionner que la Cour d’appel, dans le jugement de principe Bâtiments Kalad’Art inc. c. Construction D.R.M. inc.[3], a indiqué que les termes « affectés à l’utilité publique » de l’article 916 C.c.Q. doivent être interprétés de manière large et libérale.

À cet effet, la Cour d’appel précise les critères guidant l’applicabilité de l’exception prévue à l’article 916 C.c.Q. en ces termes :

« [21] Enfin, l’article 916 C.C.Q. peut être analysé comme reprenant les interprétations basées sur les deux versions de l’article 2220 C.C. Ainsi, un bien sera considéré comme étant affecté à l’utilité publique s’il est destiné à l’usage public et général, s’il est essentiel au fonctionnement de la municipalité ou s’il est gratuitement à la disposition du public en général. L’utilité publique peut, selon certains auteurs, être soit directe ou indirecte. L’utilité publique est indirecte si le bien meuble ou immeuble n’est pas utilisé par la population mais est possédé par la municipalité dans l’intérêt général et pour une fin municipale.»

La Cour d’appel a d’ailleurs confirmé ces principes dans l’arrêt récent Équipements Yves Landry inc. c. Gaspé (Ville de)[4], et a précisé que le bénéfice que le public retire du bien n’est pas annihilé par le fait que le bien, dans cette affaire un bâtiment communautaire multifonctionnel, est parfois loué à des tiers pour une utilisation commerciale.

Entre autres, les Tribunaux se sont prononcés à plusieurs reprises afin de qualifier certains biens qui, dans le contexte précis de ces différents litiges, affectent l’utilité publique. Notons, à titre d’exemple, un centre récréatif municipal[5], un aréna[6] ainsi qu’un terrain acquis à des fins de parc ou de terrain de jeux[7].

Enfin, en cas de doute entre l’affectation publique ou l’affectation privée du bien, la Cour supérieure confirme que l’on doit trancher en faveur du domaine public[8].

Il va de soi que chaque situation doit être prise dans son contexte particulier et une analyse détaillée de l’applicabilité de l’exception doit être effectuée dans l’éventualité où une hypothèque légale serait inscrite sur l’un de vos immeubles.

[1] Voir notamment Laval Technopole c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCQ 6352, par 37; Banque de Montréal c. Cie de Bois D.S.L. ltée et Commission des accidents du travail, [1977] C.S. 27, 30.

[2] 2014 QCCA 1816.

[3] 2000 CanlII 20287 (QC CA).

[4] 2016 QCCA 474.

[5] Ville de Beaconsfield c. Carrelage BL inc., 2019 QCCQ 144. (La Cour d’appel a rejeté la requête pour permission d’appeler de ce jugement – Voir Carrelage BL inc. c. Ville de Beaconsfield, 2019 QCCA 622).

[6] Groupe Axino inc. c. Maçonnerie Martin Bouchard inc., 2019 QCCQ 5854

[7] Supra, note 1.

[8] Association des résidents du Domaine-Ouellet inc. c. St-Élie-de-Caxton (Municipalité de), 2015 QCCS 2575.


Pour en connaître davantage sur le sujet

Me Isabelle St-Arneault


isabelle.st-arneault@racicotchandonnet.ca
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