
L’interprétation des documents d’appel d’offres, l’exercice d’un tout
En matière de contrats publics, les documents d’appel d’offres sont souvent volumineux et peuvent apporter leur lot de complexité lorsqu’il importe de les interpréter et d’appliquer leur contenu obligationnel.
Dans la décision Ville de Pointe-Claire c. Groupe Serpone syndic de faillite inc.[1], la Cour d’appel est venue rappeler notamment que l’analyse des obligations régissant les parties doit être effectuée à la lumière de l’ensemble des documents d’appel d’offres.
Dans cette affaire, la Ville de Pointe-Claire se pourvoyait contre un jugement rendu en Cour supérieure où elle fut condamnée à payer la somme de 483 000 $ au syndic de faillite de l’entrepreneur Construction Léomar inc. pour des coûts supplémentaires encourus dans le cadre de l’exécution d’un contrat de réfection de routes. Cette réclamation pour coûts supplémentaires découlait du fait que l’entrepreneur avait dû utiliser de la pierre concassée de classe A comme matériel de remblai pour les tranchées sous la chaussée.
Au soutien de sa réclamation, l’entrepreneur avançait que les items du bordereau des prix ne spécifiaient pas que le matériel de remblai pour combler les tranchées sous la chaussée devait être de la pierre concassée, et ce alors qu’une telle spécification était prévue à d’autres items du bordereau. Ce faisant, il soutenait qu’il lui était loisible de choisir le type de remblai pour les items au bordereau sans spécification à ce titre.
Se basant uniquement sur le bordereau, il avait ainsi établi le prix de sa soumission en prévoyant un matériel de remblai moins coûteux que de la pierre concassée pour les items dont le type de remblai n’était pas indiqué.
Il ressortait cependant des autres documents d’appel d’offres que le matériel de remblai faisait bel et bien l’objet de spécifications dont celle d’utiliser de la pierre concassée de classe A pour les tranchées sous la chaussée.
En cours d’exécution des travaux, il fut ainsi exigé de l’entrepreneur qu’il utilise de la pierre concassée, ce qui, selon ses prétentions, lui occasionna des coûts supplémentaires qu’il n’avait pas inclus à sa soumission, d’où sa poursuite judiciaire intentée à l’encontre de la Ville de Pointe-Claire.
La juge de première instance lui donna raison en acceptant que ce dernier ne se soit fié qu’au bordereau des prix et en concluant que ledit bordereau était ambigu.
La Cour d’appel est venue rappeler que la détermination du contenu obligationnel du contrat doit se faire à la lumière de tous les documents contractuels, puisque ceux-ci sont tous pertinents et se complètent entre eux.
Ce n’est qu’en présence d’une contradiction qu’il y a alors lieu de se référer à l’ordre de priorité des documents contractuels, et ce en vue de résoudre ladite contradiction. Ainsi, en l’absence de contradiction, tous les documents contractuels se doivent d’être considérés.
Dans la présente affaire, l’entrepreneur, bien qu’ayant pris connaissance de l’ensemble des documents contractuels, a fait erronément le choix de ne se fier qu’au bordereau des prix et d’ignorer les autres documents contractuels.
Il savait pourtant qu’il devait exécuter ses travaux conformément aux cahiers des charges, aux plans et aux dessins. Or, ceux-ci étaient clairs quant à l’exigence de la pierre concassée de classe A pour combler les tranchées sous la chaussée.
Il ne pouvait, par conséquent, faire abstraction des exigences et spécifications contenues au sein des autres documents contractuels en ne se fiant que sur le bordereau des prix, lequel par ailleurs ne constitue pas en soi un document qui décrit de façon exhaustive les travaux devant être réalisés.
Si une quelconque exigence lui apparaissait ambigüe ou imprécise, il aurait dû alors demander des précisions ou clarifications avant de déposer sa soumission, ce qu’il n’a pas fait.
Pour ces motifs, la Cour infirma le jugement de première instance et rejeta de ce fait la réclamation pour coûts supplémentaires de l’entrepreneur.
Il importe ainsi, en matière d’interprétation des documents d’appel d’offres, d’analyser le contenu de l’ensemble des documents et de le faire en appliquant les mécanismes d’interprétation qui y sont prévus. Le contrat constitue la loi des parties. Il ne faut par conséquent en négliger le contenu.
[1] Ville de Pointe-Claire c. Groupe Serpone syndic de faillite inc., 2019 QCCA 1278 (CanLII)
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Me Anthoine Préfontaineanthoine.prefontaine@racicotchandonnet.ca
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